Juillet 2015
Bonjour,
Salut à un ami disparu en mer
Modérément enthousiaste, vous le comprendrez, pour saluer les trop fréquentes disparitions de collègues artistes septuagénaires, je tiens aujourd'hui à saluer la perte d'un garçon que j'avais eu l'occasion de rencontrer souvent en Polynésie, et qui avait choisi une vie un peu comparable à la mienne, le grand champion Laurent Bourgnon (à l'instant où j'écris ces lignes, peut-être reste-t-il encore une chance de le retrouver à la dérive dans l'atoll de Toau ou dans ses parages).
A l'âge de 4 ans ses parents l'emmènent sur leur voilier dans une virée de deux ans aux Caraïbes ; dix ans plus tard, la famille repart en voilier, pour un tour du monde cette fois-ci. Puis, pendant près de quinze ans, il aligne un nombre impressionnant de victoires dans la course au large. Mais à l'approche de la quarantaine, il décide de prendre ses distances avec la course, et de partir naviguer autour du monde ; seulement, comme il me l'a expliqué un jour « Quand tu as navigué quinze ans sur les multicoques les plus rapides de la planète, à des vitesses dépassant facilement trente noeuds, les performances des catamarans de croisière, même les mieux conçus, font pâle figure » ; alors il a changé du tout au tout et décidé de se faire construire un bateau à moteur, le Sunreef Power, « un grand catamaran très économe en carburant , et doté d'une capacité de réservoirs telle qu'un plein fait dans les pays du monde où le fuel est le moins cher, comme en Amérique du Sud, permette de faire la moitié du tour du monde ».
Arrivé en Polynésie pour une escale de quelques mois, Laurent est tombé amoureux de ces archipels, et, installé en famille dans l'île de Raiatea, il a consacré une partie de son temps à des croisières charter dans les Tuamotu ; je l'ai souvent rencontré dans l'atoll de Fakarava, tout proche de celui de Toau où il a disparu fin juin.
J'adresse mes plus vives condoléances à sa famille, avec laquelle il avait prévu, dans les mois qui viennent, de reprendre la mer pour aller s'installer en Nouvelle-Zélande, un pays que j'aime aussi beaucoup. Laurent Bourgnon avait été une des très nombreuses personnalités à répondre à mon appel dans le cadre de l'opération entourant la chanson « Touchez pas à la mer ».
Moi qui ne suis jamais très à l'aise sous l'eau, j'adresse aussi cette recommandation à tous les plongeurs : ne plongez jamais seul, et que chacun veille en permanence à la situation des autres : en moins de trois ans j'ai perdu dans des conditions semblables deux amis dans les eaux de Polynésie.
Pour notre part, nous avons poursuivi notre croisière dans la Grande Barrière de Corail, échappé aux crocodiles et aux requins : le seul squale que nous avons vu était un monument d'un goût discutable sur une plage magnifique de Great Keppel Island ; pour les méduses, ce n'est pas la saison; puis nous avons repris la direction de Brisbane, où nous laisserons Banana Split pour une virée dans l'Ouest australien, troquant pour quelques semaines le bateau pour un 4x4 ! Je vous raconterai...
Je vous souhaite un judicieux mois de juillet
Antoine
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