Aout 2000
Bonjour,
Quelle merveille inexplicable qu'une ancre... un petit bout de ferraille pointu de quelques dizaines de kilos, une frêle chaîne dont chaque maillon a été soudé, au risque de présenter une faiblesse, on la jette à l'eau, elle se plante dans le sable ou la vase, et pendant des jours, des mois, des semaines, elle va tenir les 12 tonnes d'aluminium, d'acier, de bois ou de plastique de votre bateau, vous permettre de dormir tranquille, vous laisser le loisir de quitter quelque temps votre bord pour partir à la découverte des merveilles et des mystères de l'île sous le vent de laquelle vous êtes ancré...
Ces jours-ci, ce sont les Galapagos, plus exactement l'île de San Cristobal, atteinte au bout d'une semaine de navigation pas très glorieuse au départ de Panama, beaucoup de moteur sous un ciel gris, de la pluie ou du crachin, jusqu'à ce que j'aie rejoint la zone de l'alizé, qui en cette saison remonte bien au nord de l'archipel : normalement, dès mon départ pour la traversée du Pacifique Est, d'ici un jour ou deux, je devrais bénéficier d'un bon vent portant et établi.
Si vous rêvez d'aller un jour naviguer sur votre voilier du côté des Galapagos, sachez que la situation s'est un peu améliorée : depuis un quart de siècle que les Galapagos, territoire Equatorien, ont été classées Parc Naturel, les voiliers de passage n'y étaient pas les bienvenus, autorisés seulement à y rester 3 jours, et seulement au mouillage d'Academy Bay ou à celui où je me trouve, à San Cristobal; récemment, ça s'est un peu libéré, on a droit à une escale de 20 jours, et on peut aller jeter l'ancre devant les 4 îles habitées de l'archipel...
mais ça ne s'est qu'un peu amélioré, car si on peut, laissant son bateau, s'embarquer pour quelques jours sur un bateau local pour aller visiter les îles environnantes, voir les tortues géantes, les phoques, les fous à pattes bleues et toutes les espèces qui ont suggéré à Darwin la théorie de l'Evolution, il n'est encore pas question d'aller librement, sur nos propres voiliers, passer des jours ou des semaines, comme Bernard Moirtessier le racontait dans "Cap Horn à la voile" dans les petits lagons magiques, au milieu des tortues de mer, des iguanes et des loups marins... il nous en coûterait, tenez vous bien... 200 dollars par jour et par personne... pas étonnant que personne ne le fasse jamais, à part, une fois par an un milliardaire américain sur un yacht princier, que ça ne dérange pas de dépenser 12 ou 15 000 dollars... l'affaire, vous en conviendrez, tient un peu du racket...
Heureusement qu'on s'arrange un peu avec des pêcheurs locaux, qui vont discrètement vous faire admirer les phoques et les frégates de l'île des Loups-marins, ou les formes irréelles du "Lion Endormi" , qui fait plutôt songer à une gigantesque cathédrale; heureusement que les iguanes sont nombreux à se laisser admirer sur la côte sud de l'île de San Cristobal, que l'on peut parcourir à pied : ce n'est donc pas tout à fait bredouille que l'on quitte cet archipel que la peur des hommes a épargné, mais pas la bêtise des ciseleurs de règlements, qui confondent protection de l'environnement et écoterrorisme : car dans le même temps que les règlements brimaient les quelques dizaines d'équipages respectueux de la nature qui vivent à bord des voiliers, dans le même temps, on développait ici un tourisme surnuméraire amenant 60.000 personnes par an dans l'archipel...
Ce n'est donc pas bredouille que je quitte l'archipel, j'ai vu phoques, pélicans, iguanes, fous à pattes bleues et frégates au nid, sans oublier la tortue géante Timmy, qui accueille les visiteurs à Puerto Baquerizo Moreno... mais pour ma quatrième visite aux Galapagos en vingt cinq ans, je regrette que la bêtise soit encore reine...
La mer est belle, le large et les immensités désertes de l'Océan Pacifique auront vite fait de faire oublier tout ça, de remettre les compteurs à zéro, et de prépare le navigateur à ce qui l'attend dans quelques semaines de l'autre côté, les montagnes escarpées des Gambier ou des Marquises, les atolls aux couleurs irréelles des Tuamotu...
à très bientôt...Antoine
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