Juillet 2017
Bonjour,
Bon été à tous !
Pendant que j'attends que Francette me rejoigne pour que nous partions retrouver nos mouillages préférés des Tuamotu, un des travaux que j'ai eu à réaliser, dans le petit bureau filmé avec feu mon petit drone, a été l'écriture d'un article sur les îles de France, pour la revue Valeurs actuelles (il parait que c'est une revue de droite, moi, vous me connaissez, je ne suis ni de droite ni de gauche, bien au contraire). Pour les deux mois d'été à venir, j'ai pensé que vous aimeriez lire cet article...
Voici la première partie « Fou d'îles », la seconde « Les poussières de l'empire » viendra le premier Aout.
Bonne lecture, et, pour les deux mois à venir, je vous souhaite de faire comme si de rien n'été !
Antoine
Je suis Fou d'îles
J'ai les îles dans la peau
Aucune terre ne m'intéresse si elle n'est pas entourée d'eau...
Je suis né dans une île (pas n'importe laquelle, Madagascar) d'un père né dans une île (pas n'importe laquelle, la Corse) ; à l'âge de trois ans, je partais avec ma famille pour une autre terre française, minuscule archipel au large du Québec, Saint-Pierre-et- Miquelon. Au passage nous découvrions l'île où se dresse la statue de la liberté, l'île de Manhattan, celle de Montréal. Nous avons vécu six ans à Saint-Pierre, où il était plus facile de trouver au bord du chemin une morue séchée qu'une fleur des champs. Pour voir un arbre, il fallait gagner l'île voisine, Langlade, où l'on trouvait même une rivière, des phoques et des chevaux sauvages.
Avec des débuts si prometteurs, j'aurais pu être fou d'îles dès ma prime jeunesse, et pourtant de neuf ans à vingt-deux ans, trop occupé, hélas, à devenir adulte, je les ai ignorées ; en 1967, tout de même, alors qu'une première année bien stressante dans le show-business m'avait donné envie de le fuir un instant, c'est dans une île (une Caraïbe dont j'ignorais tout, la britannique Antigua, au nord de la Guadeloupe) que je m'étais réfugié quelques semaines' avant de changer de cap, de me recycler complètement et de m'« isoler » (du latin isola, île) dans une ferme perdue parmi les landes et les forêts du Massif Central. Même à trente ans lorsque je suis finalement parti faire le tour du monde en voilier, ce ne sont pas les îles paradisiaques qui m'attiraient, je visais plutôt les continents, les grandes villes, les fêtes, Dakar, Abidjan, Rio de Janeiro ; je voulais remonter des fleuves d'Afrique ou d'Amérique... et puis les îles se sont trouvées, d'elles même, sur ma route.
La première, aussi belle que son nom, s'appelait l'île du Prince, elle n'avait acquis son indépendance du Portugal que depuis douze jours, et j'y fus soupçonné d'être un espion de la CIA, et interdit de débarquer... jusqu'au moment où on me demanda de ramener sur mon voilier à l'île-capitale du pays, São Tome, les pilotes tombés en panne de la minuscule compagnie aérienne locale ; en échange, je fus accueilli comme un sauveur, on me fit visiter les plus beaux sites de l'île - c'est ici que je pris ma première photo à faire rêver, celle de la plage Banana, ronde et dorée comme une banane mûre. Le jour du départ, le maire de l'île, sur son vélo, me hélait, « Ne partez pas, Seu Antão, restez vivre avec nous. »
Quelques milliers de milles plus loin, au centre de l'Atlantique Sud, un minuscule bout de terre française m'attendait, sur une ile britannique : au centre de Sainte-Hélène, la maison où mourut Napoléon, et le petit vallon boisé où il reposa avant qu'on ne le ramène au Panthéon, appartiennent tous deux à la France, et un consul épris du souvenir de l'Empereur déchu veille sur ces lieux mythiques. Les insulaires étaient si avenants qu'ici aussi j'ai rêvé de m'établir pour longtemps.
Depuis, la passion des îles ne m'a plus quitté, j'ai fait en voilier deux fois et demi le tour du monde, me focalisant de plus en plus sur les îles, de la plus petite (un minuscule « motu » de Polynésie, dont on fait le tour en quinze minutes) jusqu'aux plus grandes : Madagascar, La Nouvelle-Zélande, Cuba, où nous venons - c'est ma septième visite à cette île depuis 1968 - de tourner des images qui constitueront notre prochain documentaire.
Entre temps, Je ne rêve plus que d'îles. Je me suis même durant vingt-deux ans basé, lors de mes retours en France pour des tournées de conférences avec Connaissance du Monde ou des périodes de promotion, dans une île des Hauts-de Seine, la tranquille île Saint-Germain. Qui n'est qu'une des petites merveilles insulaires que compte notre pays.
C'est vrai, la France est, doublement, bien dotée en îles. Il y a d'abord, pour ceux qui redoutent de quitter la métropole, une quantité raisonnable d'îles toutes proches, partie intégrante du territoire national ; les Belges, les Suisses, n'ont pas comme nous la possibilité pour une demi-journée ou une semaine d'atteindre ces lieux où le temps s'est en quelque sorte, sinon arrêté, du moins ralenti : les îles de Batz, Molène, Sein, Belle-Île-en-mer, Yeu, l'île d'Aix (et la très secrète île Madame, où ont été reconstruits les imposants carrelets détruits par la tempête de 1999), les Îles d'Or (hors saison, bien sûr !), et, évidemment, la Corse, fascinante de la pointe de la Revellata jusqu'à la plus petite des îles Lavezzi. J'ai eu la chance de les visiter pratiquement toutes pour y réaliser un documentaire, et j'en garde un souvenir ébloui. Si vous vous posez des questions sur le sens de votre vie, si vous n'avez ni le temps ni les moyens de partir au bout du monde, prenez juste un bus, un ferry, trouvez-vous un gîte, un bed and breakfast (un « couette et café », comme on dit au Québec) et passez deux ou trois journées dans une île du littoral français, vous en reviendrez différent.
(A suivre le mois prochain)
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